Mémoires du comte de Comminge

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Mémoires du comte de Comminge
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Édition princeps

Auteur Claudine Guérin de Tencin
Pays France
Genre Roman-mémoires
Éditeur Jean Néaulme
Lieu de parution La Haye
Date de parution 1735
Chronologie

Les Mémoires du comte de Comminge sont un roman-mémoires publié sans nom d’auteur en 1735 par Claudine Guérin de Tencin chez Jean Néaulme à La Haye. C'est un des premiers romans français qui annonce le genre gothique.

Résumé[modifier | modifier le code]

Ce court roman dont la trame évoque l'aventure de Roméo et Juliette, décrit l'amour intrépide et dévorant qui naît entre le jeune comte de Comminge et Adélaïde de Lussan, tous deux marqués par la haine de leurs pères. Cet amour-là ne fera que scander les étapes d'une marche funèbre. Les âmes sensibles, comme dans le grand roman baroque, créent les circonstances extraordinaires dont elles ont besoin pour connaître toute leur faculté d'aimer et de souffrir[1]. Mme de Tencin, cependant, y aménage de façon discrètement subversive les données traditionnelles que le roman classique avait léguées à l'aube des Lumières : elle confère à son roman un caractère mélodramatique, pessimiste et en même temps protestataire[2]. La critique moderne a en effet bien mis en évidence la double protestation contre la société et l'incompréhension masculine d'une part, et l'effort d'une image sublimée de la femme d'autre part, ce qui fait véritablement de Mme de Tencin l'une des premières interprètes du féminisme français[3].

Réception[modifier | modifier le code]

Le succès des Mémoires du comte de Comminge fut immédiat, comme le prouve le fait qu’il fut réédité l’année même. Et pour une fois, la critique et le public apprécièrent de concert : ils furent unanimes à louer ses qualités littéraires. L’abbé Prévost, dans le Pour et Contre, y loue la « vivacité », l’« élégance » et la « pureté » du style, assurant que le roman se fait lire « de tout le monde avec goût[4] », et le critique d’origine suisse La Harpe, dans son Lycée ou cours de littérature ancienne et moderne (1799), alla même jusqu’à la considérer comme le « pendant de la Princesse de Clèves[5] ». Le roman eut même une vogue européenne : très rapidement on en fit des traductions anglaise (1746), puis italienne (1754), grecque (1805) et espagnole (1828) (Paris, Wincop). Il inspira également une héroïde de quelque 500 vers au chevalier Dorat, Lettre du comte de Comminge à sa mère (1765), et une nouvelle à Madeleine-Angélique de Gomez. Pour Delandine, Mme de Tencin devrait servir de modèle. Et elle le fut, puisque sa nouvelle connut vers la fin du siècle cette forme populaire de la gloire que donnent les imitations et les contrefaçons.

"Comminge" de Claudius Jacquand, 1836

Les Mémoires n’ont pas seulement été adaptés au théâtre : Baculard d’Arnaud, par exemple, s’en inspira pour son drame gothique les Amans malheureux (1764). Cette œuvre a elle-même inspiré les peintres romantiques, comme Fleury Richard, avec son Comminges et Adélaïde au couvent de la Trappe (1822-1844), qui a lui-même inspiré le Comminge de son élève Claudius Jacquand (1836).

On le voit, ce roman a été jugé digne d’être placé au nombre des chefs-d’œuvre de la littérature féminine du temps. Prévost, par exemple, le lut publiquement dans le salon de son amie, en sa présence, et fit l’éloge du style, en relevant son élégance, sa vivacité et sa pureté[6]. Son succès alla même croissant jusque vers le milieu du XIXe siècle, avec près d'une réédition tous les deux ans entre 1810 et 1840. Il fut, par ailleurs, encore souvent réédité entre 1860 et 1890 et sa gloire ne s’éteindra finalement qu’à l’aube du XXe siècle. C’est dire si le XIXe siècle le goûta encore énormément.

Le critique Villemain, dans son Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle (1838) écrira même que Mme  de Tencin est l’auteur de « quelques romans pleins de charme » parmi lesquels les Mémoires du comte de Comminge, représente certainement « le plus beau titre littéraire des femmes dans le XVIIIe siècle[7]. » Opinion partagée encore, quelque cent ans plus tard, par le critique Marcel Raymond. Avec plus de cinquante rééditions jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’ouvrage est resté très présent sur la scène du livre.

Après un purgatoire d’une cinquantaine d’années, il fut redécouvert dans les années 1960 et depuis, constamment réédité.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Mémoire du comte de Comminge, édition Desjonqueres, mars 1985.
  2. Stessi Athini, Une traduction manuscrite en grec moderne : L'Histoire du comte de Comminge et d'Adélaïde in Comparaison, no 12, 2001, p. 88-96.
  3. Stessi Athini, ibid.
  4. Abbé Prévost, Le Pour et Contre, Paris, Didot, 20 vol., t. VII, p. 73-82.
  5. Jean-François de La Harpe, Lycée ou Cours de littérature ancienne et moderne, Paris, Agasse, An VII-XII, 16 vol., t. VII, p. 306.
  6. Abbé Prévost, Le Pour et Contre, chez Didot, Paris, t. VII, 1735, p. 73-82.
  7. Abel-François Villemain, Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle, Paris, Didier, 1838, t. I, p. 261-2.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (en) Katharine Ann Jensen, « The Inheritance of Masculinity and the Limits of Heterosexual Revision: Tencin’s Les Mémoires du Comte de Comminge », Eighteenth-Century Life, mais 1992, n° 16 (2), p. 44-58.
  • Stessi Athini, « Une traduction manuscrite en grec moderne : L'Histoire du comte de Comminge et d'Adélaïde », in Comparaison, no 12, 2001, p. 88-96.
  • C. Deharbe, « La réception des Mémoires du comte de Comminge de Mme de Tencin : un canevas de drame pour Baculard d’Arnaud », dans Solange Lemaître-Provost et Esther Ouellet (dir.), Sciences et littérature. Actes du VIIe colloque jeunes chercheurs du CIERL, suivi de Marilyne Audet et Lou-Ann Marquis (dir.), Fortunes des œuvres d’Ancien Régime. Lectures et réceptions avant la Révolution. Actes du VIIIe colloque jeunes chercheurs du CIERL, Paris, Hermann Éditeurs, « Les collections de La République des Lettres », 2013, p. 409-431.
  • (en) Diane Duffrin Kelley, « Epiphanies: The Narrative Effect of the Woman’s Spying Gaze in Lafayette’s Princesse de Clèves and Tencin’s Mémoires du Comte de Comminge », Women in French Studies, 2006, n° 14, p. 27-36.
  • Catherine Langle, « Refus du monde ou le comble du roman : l'exemple des Mémoires du comte de Comminges de Mme de Tencin (1735) » in La tradition des romans de femmes. XVIIIe – XIXe siècles, Champion, 2012, pp.41-57, 2012.
  • Maurice Levy, « Une Nouvelle Source d’Anne Radcliffe : Les Mémoires du Comte de Comminge », Caliban, 1964, n° 1, p. 149-156.
  • Patricia Louette, « Quelques aspects de la singularité féminine chez Mme de Tencin : Les coulisses de la vertu », Writers and Heroines: Essays on Women in French Literature, éd. et avant-propos Shirley Jones Day, intro. Annette Lavers, Berne, Peter Lang, 1999, p. 131-46.
  • Marinella Mariani, « Un Roman d’amour de Madame de Tencin, les Mémoires du comte de Comminge », Quaderni di Filologia & Lingue Romanze, 1986, p. 101-150.
  • (it) Franco Piva, « La sensibilité nei Mémoires du comte de Comminge di Mme de Tencin », La Sensibilité dans la littérature française au XVIIIe siècle, éd. et préf. Franco Piva, concl. Jean Sgard, Fasano, Schena, 1998, p. 141-62.
  • (en) Lynn Ramey, « A Crisis of Category: Transvestism and Narration in Two Eighteenth-Century Novels », Proceedings of the Fourth Annual Graduate Student Conference in French and Comparative Literatures, 4-, New York, Columbia UP, 1994, p. 72-77.
  • Santé A. Viselli, « Violence et topique romanesque dans Les Lettres persanes, Les Mémoires du comte de Comminge, Le Masque de fer et L’Émigré », Violence et fiction jusqu’à la Révolution, éd. et intro. Martine Debaisieux et Gabrielle Verdier, Tübingen, Narr, 1998, p. 285-94.
  • Thalmann Myriam, Étude sur "Les amants malheureux" de Baculard d'Arnaud : adaptation dramaturgique d'après "Les mémoires du Comte de Comminge" de Madame de Tencin, Fribourg, Université de Fribourg, 1994.

Éditions modernes[modifier | modifier le code]